Je suis soûle. Je regarde Bourg-le-Roy comme je regardais cette ville, y étant venue pour la première fois avec l'homme en masque de squelette dont la chaise-cochon a hérité ensuite, plus tard, beaucoup plus tard dans la même soirée, dans le même matin, devrais-je dire. Cet homme, selon certains, est fou. Selon moi, c'est un ami. On est assez différents pour ne pas se tomber sur les nerfs. Et puis, on ne se voit pas assez souvent.
Je regarde Bourg-le-Roy comme je la regardais un matin pluvieux et gris où je partais en silence, sur la pointe des pieds, en prenant soin de bien refermer la porte sans bruit, pour ne pas réveiller ceux qui dormaient encore dans la maison. Je les avais vu dormir ce matin-là, avant de partir, l'un sur le canapé du salon, l'autre dans la pièce d'en haut, dans la chambre qui ne lui appartenait pas, puisque dans la sienne, c'est moi qui occupais le lit. Je les ai regardé dormir l'un et puis l'autre, ne sachant pas trop quoi faire.
J'ai exploré la pièce où j'avais couché sur un vieux matelas, sans me déshabiller. J'avais même mis mon chandail avant de fermer les yeux puisqu'il faisait froid, et les fenêtres n'avaient pas de rideaux, je m'étais endormie dans la lumière douce d'un réverbère. Le bureau était couvert de feuilles de papier, de crayons, de règles et d'autres choses dont l'utilisation me reste presqu'inconnue. Des toiles en noir et blanc sur les murs. En noir et blanc. En sept huitièmes de blanc, en fait. Mais ça, je ne le savais pas encore.
Ce soir, j'ai fait le même chemin que l'autre soir, mais virtuellement. J'ai suivi mes propres pas, mais dans le vide. Je suis presque sobre. Je me souviens.
Il me demandait souvent si je voulais quelque chose, je ne savais pas trop quoi répondre. Ce que je voulais, c'était reprendre les études, partir au Québec, me débarrasser de moi-même pour mieux me retrouver, je voulais écrire, réciter, faire de la musique, m'instruire, apprendre à être libre. Tout cela, en l'espace d'une soirée, a paru insignifiant. En l'espace d'une seule soirée, je retrouvais l'Afrique de mes ancêtres mammouthovores, la terre brûlée et brûlante de mes origines que je ne reconnaissais pas encore, et puis le vent changeant, tantôt froid, tantôt chaud, d'un coeur de femme qu'était le mien. Le vent avait changé. Voilà le bon vent, m'étais-je dit en finissant mon verre.
Le vent venait de Pangée. Ce continent mystérieux s'était rapproché de moi encore plus qu'avant. J'entendais le chant intellectuel des premiers humains qui furent ensuite Hindous, Grecs, Egyptiens, Romains, Russes. J'entendais la danse rythmée de leurs shamans athées. Mais tout ça, je ne le comprenais pas encore.
Je crois que la neige m'avait juste fatiguée. C'est sans doute pour ça qu'à Bourg-le-Roy, une banlieue Parisienne comme tant d'autres, j'étais si prête à tomber sur le sol chaud, rêche, foncé d'un pays que je ne connaissais pas mais qui prétendait me connaître. J'avais eu trop froid à marcher dans des neiges hautes et profondes, avec un vent glacé, glacial par dessus. Je me suis jetée sur cette terre mi-couverte de sable et j'ai pleuré sans larmes, sans sanglots, sans pleurs. J'ai pleuré comme on pleure de bonheur, comme un fume un joint, comme on boit du thé chaud. J'ai pleuré comme on espère un futur jusque-là impossible, j'ai pleuré comme une vague partie de la Gaspésie qui se fond en larmes sur les digues de la Manche.
Je regarde Bourg-le-Roy et me demande ce que j'ai fait pour m'y trouver un bon soir de printemps. Au matin, j'ai écrit un petit mot aux dormeurs avant de m'en aller. Sans bruit, j'ai refermé la porte grillée de la cour et j'ai regagné la station de RER. Mais le voyage, lui, n'avait que commencé. Le voyage était bien plus long que le déplacement. Et j'aime bien croire que mon voyage continue encore.
Je regarde Bourg-le-Roy comme je la regardais un matin pluvieux et gris où je partais en silence, sur la pointe des pieds, en prenant soin de bien refermer la porte sans bruit, pour ne pas réveiller ceux qui dormaient encore dans la maison. Je les avais vu dormir ce matin-là, avant de partir, l'un sur le canapé du salon, l'autre dans la pièce d'en haut, dans la chambre qui ne lui appartenait pas, puisque dans la sienne, c'est moi qui occupais le lit. Je les ai regardé dormir l'un et puis l'autre, ne sachant pas trop quoi faire.
J'ai exploré la pièce où j'avais couché sur un vieux matelas, sans me déshabiller. J'avais même mis mon chandail avant de fermer les yeux puisqu'il faisait froid, et les fenêtres n'avaient pas de rideaux, je m'étais endormie dans la lumière douce d'un réverbère. Le bureau était couvert de feuilles de papier, de crayons, de règles et d'autres choses dont l'utilisation me reste presqu'inconnue. Des toiles en noir et blanc sur les murs. En noir et blanc. En sept huitièmes de blanc, en fait. Mais ça, je ne le savais pas encore.
Ce soir, j'ai fait le même chemin que l'autre soir, mais virtuellement. J'ai suivi mes propres pas, mais dans le vide. Je suis presque sobre. Je me souviens.
Il me demandait souvent si je voulais quelque chose, je ne savais pas trop quoi répondre. Ce que je voulais, c'était reprendre les études, partir au Québec, me débarrasser de moi-même pour mieux me retrouver, je voulais écrire, réciter, faire de la musique, m'instruire, apprendre à être libre. Tout cela, en l'espace d'une soirée, a paru insignifiant. En l'espace d'une seule soirée, je retrouvais l'Afrique de mes ancêtres mammouthovores, la terre brûlée et brûlante de mes origines que je ne reconnaissais pas encore, et puis le vent changeant, tantôt froid, tantôt chaud, d'un coeur de femme qu'était le mien. Le vent avait changé. Voilà le bon vent, m'étais-je dit en finissant mon verre.
Le vent venait de Pangée. Ce continent mystérieux s'était rapproché de moi encore plus qu'avant. J'entendais le chant intellectuel des premiers humains qui furent ensuite Hindous, Grecs, Egyptiens, Romains, Russes. J'entendais la danse rythmée de leurs shamans athées. Mais tout ça, je ne le comprenais pas encore.
Je crois que la neige m'avait juste fatiguée. C'est sans doute pour ça qu'à Bourg-le-Roy, une banlieue Parisienne comme tant d'autres, j'étais si prête à tomber sur le sol chaud, rêche, foncé d'un pays que je ne connaissais pas mais qui prétendait me connaître. J'avais eu trop froid à marcher dans des neiges hautes et profondes, avec un vent glacé, glacial par dessus. Je me suis jetée sur cette terre mi-couverte de sable et j'ai pleuré sans larmes, sans sanglots, sans pleurs. J'ai pleuré comme on pleure de bonheur, comme un fume un joint, comme on boit du thé chaud. J'ai pleuré comme on espère un futur jusque-là impossible, j'ai pleuré comme une vague partie de la Gaspésie qui se fond en larmes sur les digues de la Manche.
Je regarde Bourg-le-Roy et me demande ce que j'ai fait pour m'y trouver un bon soir de printemps. Au matin, j'ai écrit un petit mot aux dormeurs avant de m'en aller. Sans bruit, j'ai refermé la porte grillée de la cour et j'ai regagné la station de RER. Mais le voyage, lui, n'avait que commencé. Le voyage était bien plus long que le déplacement. Et j'aime bien croire que mon voyage continue encore.