Je ne sais pas où fuir de moi-même.
Pour ça, je reste là, plantée en face de moi. La peau de mes doigts est sèche, elle craque, pleine de rides. Ces doigts ont 40 ans de plus que le reste de mon corps. J'imagine qu'ils ont toujours été comme ça, je l'ai remarqué pour la première fois à la petite école. J'ai donc toujours eu les doigts d'une vieille. Ça doit être la raison pourquoi j'écris. Mes doigts doivent en savoir plus que moi.
Je me vois dans toute ma splaideur.
Là, le tapis du plancher pour tabouret et le sofa pour bureau, j'écris. Je lève les yeux, à travers la fenêtre du balcon je vois le ciel bleu. Il doit faire chaud dehors. Je n'ai pas du tout envie de sortir.
Je n'ai pas envie de sortir de moi. A travers mes yeux, je vois le sourire des gens, bien plus beau que celui du soleil. En dehors, il doit faire chaud. Je n'ai pas envie de sortir.
C'est comme un abcès qui vient de crever après avoir gonflé silencieusement pendant un an en se remplissant de ce liquide jaune puant extrêmement dégueulasse. Là, ça éclabousse des gouttes de mots aussi jaunes et dégueulasses sur le papier blanc des nuages.
Je n'ai jamais su me donner du temps. Ni donner du temps aux autres. La vie me paraît si courte que du temps, on a juste l'impression d'en avoir.
On a l'impression d'avoir du temps pour dire qu'on aime. Qu'on est là. Qu'on aime encore et peu importe. On garde tout en soi comme des avares. Mais c'est des richesses qui ne valent rien quand elles ne sont pas partagées. En perdant le temps, on ne s'en aperçoit même pas. Et puis vient un soudain regret, le regret violent de l'injustice de la vie.
La vie, étant une chose, ne peut être ni juste, ni injuste. C'est nous qui sommes injustes envers nous-mêmes et ceux que nous aimons. Nous ne nous donnons jamais la chance d'être ce qu'on n'a jamais pensé qu'on puisse être.
J'ai toujours peur que mon amour encombre le monde. Du coup, je fais semblant de m'en crisser royalement. Au moins, comme ça, ça fera pas mal à personne au cas où. Peut-être que mes richesses ne sont des richesses que pour moi? Qu'est-ce que les gens vont foutre avec ces bebelles? Vaut mieux ne pas faire une folle de moi.
Mais dans ma nuit, comme dans un écrin de velours noir, je compte et recompte mes amours comme des perles luisantes du collier qui m'attache à la vie.
Je suis seule en dedans de moi depuis que je l'ai appris. Je me sens petite, faible, douloureuse, enfouie en quelque part de mon être, comme un de mes propres organes qui fait mal. Oui, j'ai mal à moi. Comment veux-tu oublier une jambe cassée, une tumeur au cerveau, une appendicite, un mal de gorge, une impuissance sexuelle? Je ne sais pas où fuir de moi-même.